IX
DERNIER ADIEU

Sir Piers Blachford s’appuya contre la table d’opération de fortune. Le grondement du canon avait repris, tout le vaisseau tremblait violemment. Il essuya son visage ruisselant et dit :

— Emmenez cet homme. Il est mort.

Les aides du chirurgien se saisirent du cadavre dénudé et le tirèrent dans les ténèbres de l’entrepont.

Blachford tendit le bras et sentit le gros couple près de sa tête. Si l’enfer existe, songea-t-il, il doit ressembler à cet endroit.

Les lanternes qui dansaient au-dessus de la table rendaient la scène encore plus lugubre. Elles jetaient des ombres sur les formes courbes de la coque et éclairaient d’une lumière crue les formes inertes ou informes des blessés que l’on descendait sans discontinuer.

Il se tourna vers son compagnon, George Minchin, chirurgien de l’Hypérion, un homme au visage rude, avec quelques mèches de cheveux grisonnants. Il avait les yeux rougis et ce n’était pas dû seulement à la fatigue. Une grosse jarre était posée à côté de la table, le rhum aidait les malheureux blessés que l’on déposait sur la table à supporter la douleur ou les derniers moments. On les déshabillait puis on les maintenait en place comme des victimes sacrificielles jusqu’à ce que tout fût terminé. Minchin semblait boire plus que de raison.

Blachford avait vu les blessures les plus horribles : des hommes sans membres, des visages et des corps brûlés ou déchirés par les éclis. L’endroit servait habituellement de poste aux aspirants : c’était là qu’ils dormaient, mangeaient, étudiaient leurs manuels à la faible lueur des chandelles. Il débordait de souffrance. Il y régnait une odeur écœurante de sang, de vomissures, de douleur. Chaque départ de bordée, chaque fracas épouvantable des coups ennemis qui frappaient la coque déclenchait des cris et des grognements parmi les formes entassées là qui attendaient leur tour.

Blachford devait se contenter d’imaginer ce qui se passait là-haut, en plein soleil. Ici, dans l’entrepont, nulle lumière du jour ne pénétrait jamais. Sous la flottaison, c’était certes l’endroit le plus adapté à cette sale besogne, mais il n’en était pas moins révolté pour autant.

Il montra d’un geste les bassines répugnantes placées sous la table et à demi pleines de membres amputés, avertissement sans frais pour ceux qui allaient bientôt connaître un nouveau surcroît de souffrances. Ici, seule la mort pouvait vous apporter le réconfort.

— Sortez-moi ça d’ici !

Il entendait des coups de marteau tout près, dans l’étroite galerie de combat qui courait tout le long du bordé sous la flottaison. Elle formait comme un petit couloir entre les compartiments intérieurs et la coque, dont le charpentier et ses compagnons réparaient les trous causés par les boulets ou les voies d’eau. Les coups continuaient de pleuvoir sur le flanc.

Blachford entendit un long grondement droit au-dessus de sa tête. Il leva les yeux vers les barrots peints en rouge comme s’il s’apprêtait à les voir se courber. Une voix terrorisée appela dans l’ombre :

— Qu’est-ce que c’est, Toby ?

Quelqu’un lui répondit :

— Ils courent dans la batterie basse, voilà ce que c’est !

— Mais pourquoi font-ils cela ? demanda anxieusement Blachford.

Minchin avala un plein quart de rhum et s’essuya la bouche du revers d’une main sale.

— Ils évacuent. Nous sommes bord à bord avec un de ces salopards. Ils ont besoin du moindre mathurin pour les foutre dehors !

Puis il cria d’une voix rauque :

— Au suivant, Donovan !

Il se tourna vers Blachford, l’air rancunier.

— C’est pas ce à quoi vous êtes habitué, j’imagine ? Pas de belles salles d’opération avec des rangées d’étudiants ignares suspendus à vos lèvres – il cligna des yeux, de la fumée s’infiltrait depuis le pont. J’espère que vous aurez appris quelque chose d’utile aujourd’hui, sir Piers. A présent, vous savez ce que nous devons supporter au nom de la médecine.

Un de ses acolytes lui dit :

— Çui-ci est un officier, monsieur.

Blachford se pencha par-dessus la table. On enleva à l’enseigne sa chemise déchirée et on le coucha à plat.

C’était Lovering, le second lieutenant, qui avait été abattu par un tireur d’élite espagnol.

Blachford commença par examiner la terrible blessure qu’il avait au bras. A la lueur des fanaux qui dansaient, le sang paraissait noir et la peau était en lambeaux, là où la balle avait percé avant de toucher l’os.

Lovering le regardait, les yeux pleins de souffrance.

— Oh, mon Dieu, est-ce grave ?

Minchin posa la main sur son épaule nue. Elle était glacée et moite.

— Désolé, Ralph – un coup d’œil à Blachford, puis : Il faut enlever ça.

Lovering referma les yeux :

— Oh non, je vous en prie, pas mon bras !

Blachford attendit qu’un aide eût apporté les instruments. Il avait dû ordonner et ordonner encore qu’on les nettoyât. Pas étonnant que tant d’hommes mourussent de la gangrène. Il fit doucement :

— Il a raison, c’est pour votre bien.

L’officier tourna la tête pour ne plus voir la lanterne. Vingt-deux ans environ, songea Blachford. Lovering soupira :

— Pourquoi ne me tuez-vous pas ? Je suis foutu.

Des coups redoublés frappaient la coque, quelques instruments tombèrent. Blachford se baissa pour les ramasser et vit, tout étonné, un rat s’enfuir dans l’ombre. Minchin surprit sa moue de dégoût et se mit à sourire de toutes ses dents. Il était venu, avec ses discours de haut et puissant personnage. Mais que connaissait-il de la guerre ? Il vit du coin de l’œil un éclat de lumière sur le bistouri.

— Allez, Ralph.

Il lui mit une lanière de cuir entre les dents sans lui laisser le temps de protester.

— Quand ce sera fini, je vous ferai boire un fameux cognac.

Une voix cria dans la fumée :

— Encore un officier, monsieur !

Un aide leva la lanterne, Blachford aperçut l’enseigne de vaisseau Quayle qui s’effondrait contre un couple en essayant de se couvrir le visage avec sa vareuse.

Le lieutenant de vaisseau Lovering se débattait sur la table et, sans l’aide qui le maintenait par son bras valide, il aurait réussi à se remettre debout.

— Salaud ! Espèce de lâche !

Sa voix se perdit dans un souffle et il retomba sur la table, à moitié évanoui.

Blachford jeta un coup d’œil à Quayle. Il s’accrochait, les mains serrées, et pleurait comme un enfant.

— Traitez-le comme il vous plaira, mais c’est un blessé comme les autres !

Minchin remit la courroie en place entre les mâchoires de Lovering. Brutal, insensible, comme tous les gens qui faisaient ce métier. Il le prit par les épaules et attendit la première incision du bistouri. Avec un peu de chance, il allait perdre conscience avant que la scie eût commencé son œuvre.

Minchin pouvait oublier ce que Blachford et ses semblables pensaient des chirurgiens de marine. Il était même capable de ne pas faire attention aux souffrances de Lovering, même s’il avait toujours apprécié le jeune officier. Pour oublier tout cela, il concentra ses pensées sur sa fille qui vivait à Douvres et qu’il n’avait pas vue depuis deux ans.

— Au suivant !

On emporta Lovering, tandis que le membre amputé tombait dans la baille. La moque à bidoche, comme les hommes l’appelaient. Jusqu’à ce que vînt leur tour.

Blachford attendait un marin qui s’était fait écraser le pied par un affût. Près de lui, les infirmiers et leurs aides approchèrent les lanternes. Blachford regarda ses bras rougis jusqu’aux coudes. Minchin et les autres étaient dans le même état. Etonnez-vous après cela qu’ils nous traitent de bouchers.

L’homme commença par crier et par supplier, mais avala goulûment un quart de rhum que Minchin termina avant de dénuder le pied écrabouillé. La coque se remit à trembler, mais on avait l’impression que la bataille se calmait. Apparemment, les canons tiraient dans toutes les directions, on entendait parfois des cris çà et là entre les ponts, comme des esprits errants.

L’Hypérion avait sans doute été pris à l’abordage, décréta Blachford, à moins que l’ennemi n’eût reculé pour se regrouper. Il ne connaissait pas grand-chose à la guerre sur mer, honnis ce qu’on lui en avait raconté ou ce qu’il avait pu lire dans la Gazette. Ce n’était que depuis qu’il avait commencé à inspecter la flotte qu’il avait commencé à réfléchir à ces hommes qui décidaient de la victoire ou de la défaite, des hommes faits comme lui de chair et de sang.

— Suivant !

Cela ne s’arrêtait jamais.

Un fusilier descendit l’échelle en criant :

— On est à bord de l’espagnol, les gars !

Il disparut et Blachford entendit, tout ébahi, quelques blessés qui poussaient des vivats. Pas besoin de se demander pourquoi Bolitho aimait tant ses marins. Il baissa les yeux pour examiner le jeune aspirant. Un gamin.

Minchin explora le bord de la blessure qu’il avait au côté : on voyait les côtes toutes blanches dans une masse sanguinolente. Blachford lui dit doucement :

— Seigneur, il a l’air si jeune.

Minchin se tourna vers lui ; il voulait le blesser, le faire souffrir à tout prix :

— Eh bien, Mr. Springett n’aura guère le loisir de vieillir, sir Piers. Il a ingurgité un bon paquet de ferraille espagnole ! – et, d’un geste impatient : Emmenez-le !

— Quel âge avait-il ?

Minchin savait pertinemment qu’il avait treize ans, mais quelque chose le mit soudain en éveil. Cette accalmie subite, que même le grondement du canon dans le lointain n’arrivait pas à rompre. Le pont roulait plus mollement, comme si le vaisseau s’alourdissait dans l’eau. Les pompes marchaient toujours. Bon sang, songea-t-il, on dirait qu’elles ne s’arrêtent jamais à bord de cette vieille baille.

Blachford remarqua le changement d’expression :

— Que se passe-t-il ?

— ’sais pas, répondit Minchin en branlant du chef.

Il jeta un coup d’œil aux formes des blessés, allongés le long du bordé. Certains étaient déjà morts, et personne n’y prêtait attention ni ne s’en occupait. D’autres attendaient là, attendaient toujours. Mais cette fois… Il répondit d’une voix brusque :

— Ce sont tous des marins. Ils savent que quelque chose ne tourne pas rond.

Blachford leva les yeux vers la descente noyée dans la fumée qui donnait accès au pont inférieur. On aurait cru qu’ils étaient les derniers êtres vivants encore présents à bord. Il sortit sa montre, la consulta. Minchin se baissa pour refaire le plein de son quart, ras bord. Il avait eu le temps l’apercevoir cette jolie montre en or au couvercle finement ciselé. Qu’il aille au diable !

Le tonnerre épouvantable de la bordée qui les étourdit ne ressemblait à rien que Minchin eût déjà connu. Il devait y avoir plusieurs pièces, et pourtant le bruit était comme soudé en un unique et gigantesque fracas qui vint percuter la coque. On aurait dit que c’était le son, et non la masse de métal, qui venait de s’écraser sur les pièces de bordé.

Le pont se dressa avant de trembler violemment en retombant sur le vaisseau à couple, mais le vacarme ne cessa pas pour autant. Il y eut un énorme craquement qui semblait venir d’en haut, suivi immédiatement par le fracas des espars et du gréement qui tombaient et par d’énormes chocs. Il devina qu’il devait s’agir des canons brutalement arrachés à leurs sabords.

Les blessés criaient, suppliaient, certains essayaient de se traîner vers la descente, mais les traces de sang qu’ils laissaient derrière eux témoignaient de l’inutilité de leurs efforts. Blachford entendit les espars brisés taper contre la coque, puis des hurlements qui venaient de la galerie de combat. Les fanaux s’étaient brisés, des hommes cherchaient à tâtons leur chemin dans l’obscurité.

Minchin se releva, ses oreilles tintant encore du bruit de l’explosion. Il vit d’abord des rats qui se faufilaient entre les corps de ceux qui ne souffriraient plus et secoua vigoureusement la tête pour tenter de remettre de l’ordre dans ses idées.

Comme il passait devant lui, Blachford le héla :

— Où allez-vous ?

— Dans mon infirmerie. Tout ce que je possède dans ce monde de merde est là-bas.

— Au nom du ciel, mon vieux, mais expliquez-moi ce qui se passe !

Minchin dut se retenir, le pont tremblait encore. Les pompes avaient fini par s’arrêter. Il répondit, furieux :

— Nous coulons. Mais je ne resterai pas ici pour voir ça !

Blachford regarda autour de lui. Si je survis… Puis il chassa toutes les idées qui lui passaient par la tête.

— Occupez-vous de ces hommes, faites-les monter sur le pont.

Les aides acquiescèrent, mais tous les yeux étaient fixés sur la descente. Partir par le fond. Leur vie. Leur foyer, que ce fût volontairement ou sous la contrainte de la presse. Non, c’était impossible. On entendait des bruits de souliers dans l’échelle, et Dacie, le quartier-maître bosco borgne qui les regardait d’en haut.

— Montez-vous, sir Piers ? C’est un sacré bazar là-haut.

— Et les blessés ?

Dacie s’accrocha à la main courante et essuya d’un geste son œil unique. Il mourait d’envie de courir, courir et courir encore. Mais toute sa vie durant il avait été dressé à rester à son poste, à obéir.

— Je vais demander, sir Piers.

Et il disparut.

Blachford ramassa sa sacoche et courut à l’échelle. Comme il grimpait les premières marches, il eut soudain l’impression de quelque chose d’étrange. Elles étaient inclinées de façon bizarre. Pour la première fois, il sentit un frisson de terreur le parcourir. Il songea à la colère de Minchin.

Partir par le fond.

 

Le lieutenant de vaisseau Stephen Jenour serrait fermement le bras de Bolitho, il l’avait sorti du pont. Le soulagement et l’horreur le mettaient hors de lui. « Merci mon Dieu, oh merci ! »

— Reprenez-vous, Stephen, lui dit Bolitho.

Il regarda la dunette puis, plus bas, le spectacle terrifiant. Pas étonnant que Jenour fût sur le point de craquer. Il avait sans doute cru un moment qu’il était le seul survivant.

On aurait dit que tout le vaisseau avait été intégralement dépouillé de tout, mis à nu, si bien que plus rien ne pouvait seulement cacher ses blessures. Le mât d’artimon était entièrement tombé, le petit mât de hune avait été abattu, comme frappé par une hache gigantesque, et pendait par-dessus bord dans un enchevêtrement de manœuvres. Des espars, des cordages, et des hommes. Des hommes qui flottaient au milieu des bouts, ou qui pendaient lamentablement comme des poissons morts.

Jenour souffla :

— Le second, sir Richard !

Il essayait de le lui montrer du doigt, mais tout son corps tremblait si violemment qu’il manqua tomber.

Bolitho, oubliant son propre désespoir, se précipita vers une échelle à demi détruite qui menait au pont supérieur. Les canons avaient été abandonnés dans toutes les positions, leurs servants gisaient alentour, ou essayaient de se traîner à l’aveuglette vers un panneau où ils pourraient s’abriter. Parris gisait sous un dix-huit-livres qui s’était renversé, les yeux tournés vers le ciel. Il aperçut soudain Bolitho.

Bolitho se baissa près de lui.

— Faites chercher le chirurgien, ordonna-t-il à Jenour.

Il lui tendit sa vareuse.

— Et allez-y en marchant calmement, souvenez-vous. Les survivants auront besoin de garder pleine confiance en nous.

Parris essayait de lui toucher le bras. Les dents serrées, il réussit à articuler :

— Mon Dieu, sale affaire ! – il tenta de remuer ses épaules, puis : Le San-Mateo, où en est-il ?

Bolitho hocha la tête :

— Il est parti. Continuer le combat n’avait plus de sens, quand on voit tout cela.

Parris laissa échapper un gros soupir.

— Une victoire – et, se tournant vers Bolitho, le regard suppliant : Mon visage, je n’ai rien, amiral ?

Bolitho fit un signe rassurant :

— Pas la moindre marque.

Il eut l’air rasséréné.

— Mais je ne sens plus mes jambes.

Bolitho se pencha sur le canon renversé. Le fût était encore brûlant d’avoir été utilisé, mais Parris n’en sentait rien. Il vit ses bottes en cuir de Hesse qui dépassaient de l’autre côté de l’affût. Les deux jambes devaient être écrasées.

— Je vais rester ici jusqu’à ce que quelqu’un arrive.

Il se tourna vers le pont dévasté. Seul le mât de misaine était toujours debout, sa marque flottait du maître mât au-dessus des voiles réduites en lambeaux.

Il sentit le pont trembler. Les pompes s’étaient arrêtées, sans doute faussées ou réduites en miettes. Il s’obligea à regarder la vérité en face : l’Hypérion agonisait, pendant qu’il attendait là. Il eut un regard pour l’aspirant Mirrieless, mort lui aussi, dont on avait traîné le corps jusque-là après qu’il eut été tué sur la dunette. Il avait seize ans. Exactement mon âge quand la quille de l’Hypérion a goûté à l’eau salée pour la première fois.

Il entendit des voix, des pas pressés, et aperçut quelques marins et fusiliers qui revenaient du deux-ponts espagnol toujours à couple. La chose était étrange, mais Bolitho n’avait jusqu’ici pas regardé une seule fois leur prise désemparée.

Il vit aussi Keen, le bras passé autour des épaules de Tojohns. Il avait un pansement sanguinolent à la jambe et s’approcha de lui en boitant.

— Je suis mort une dizaine de fois, sir Richard… Je vous croyais tombé pendant cette bordée – et, apercevant Parris : Nous devrions l’enlever d’ici.

Bolitho lui prit le bras :

— Val, vous savez, n’est-ce pas ?

Leurs regards se croisèrent.

— Oui, répondit Keen, il est en train de couler. Nous ne pouvons pas faire grand-chose.

Il se tourna vers le canon hors d’usage, il était incapable de supporter la souffrance de Bolitho.

— Même si nous arrivions à passer les pièces par-dessus bord. Le temps joue contre nous.

Parris poussa un grognement et Bolitho demanda :

— La prise est-elle en sécurité, Val ?

— Oui. Il s’agit de l’Asturias, quatre-vingts canons. Il a été largement puni après cette canonnade, tout comme sa conserve. Mais il peut nous être utile pour relayer les signaux.

Bolitho essayait de mettre de l’ordre dans ses idées qui se bousculaient. Ses oreilles le faisaient encore souffrir, après cette terrible canonnade.

— Signalez au Benbow de s’assurer des prises et de donner la chasse aux autres avec tous les moyens disponibles. Les espagnols vont certainement tenter de se réfugier dans le port le plus proche – et, contemplant les ponts ensanglantés : En laissant amis et ennemis se débrouiller tout seuls !

Keen serra plus fortement les épaules de son maître d’hôtel.

— Venez, Tojohns ! Il faut rassembler l’équipage !

Bolitho ordonna à Jenour :

— Descendez et prenez la tête des boscos. Vous pouvez vous en charger ?

— Et lui, sir Richard ? demanda Jenour en montrant Parris.

— Je vais attendre le chirurgien. Il va vouloir amputer les deux jambes, j’en ai bien peur, lui confia-t-il à voix basse.

Parris lui dit d’une voix lasse :

— Je suis désolé de tout cela, sir Richard… – puis, étouffant le gémissement que lui arrachait la vague de souffrance qui le torturait : Je… j’aurais pu vous aider. J’aurais dû venir plus tôt lorsque j’ai appris que vous aviez des ennuis à Londres.

Il divaguait. Bolitho se pencha sur lui et lui prit la main. Ou bien était-ce lui qui divaguait ?

Parris poursuivit, sur le même ton détaché :

— J’aurais dû m’en douter. Je désirais tant obtenir un nouveau commandement, j’étais outré d’avoir perdu le précédent, je crois que je ne l’ai pas désiré assez fort.

Des silhouettes revenaient de l’autre bâtiment, on entendait des commandements dominer le chaos. Il vit Penhaligon, le maître pilote, qui arrivait de l’arrière démoli avec un de ses hommes. Il tenait la montre du bord, cette montre qu’il avait utilisée pendant toute sa carrière. Il écoutait à moitié les propos vagues de Parris, mais il pensait surtout à ce vaisseau qu’il avait connu mieux que tout autre. L’Hypérion avait porté la marque de trois amiraux, avait été sous les ordres de quinze commandants, sans compter les milliers de marins qu’il avait embarqués à son bord. Pas une seule campagne qu’il eût manquée, en dehors de ces années pendant lesquelles on l’avait transformé en ponton.

Parris reprit :

— Somervell m’est devenu très cher. C’est un sentiment contre lequel j’ai essayé de lutter, mais en vain.

Bolitho le regardait fixement. Au début, il ne comprit pas ce qu’il voulait dire.

— Somervell et vous – c’est cela qui s’est passé ?

Cette découverte surgit soudain et il fut surpris de l’aveuglement dont il avait fait preuve. Ce dégoût qu’éprouvait Catherine pour Parris, non parce que c’était un coureur de jupons comme le prétendait Haven mais à cause de sa liaison avec son mari. Il n’y a jamais eu d’amour entre nous, il entendait encore presque ses mots, le son de sa voix. C’est sans doute pour cela que Parris avait perdu son commandement, la chose avait dû être enterrée par l’autorité supérieure, qui avait préféré étouffer le scandale.

Parris le regardait, l’air accablé :

— Oui, c’est bien cela. Je voulais vous le dire – à vous plus qu’à tout autre. Après tout ce que vous avez fait pour moi, pour ce bâtiment, tout ce que vous avez dû endurer à cause de ma folie.

Bolitho entendit Blachford arriver. Il aurait dû éprouver colère, répulsion, mais il était dans la marine depuis qu’il avait douze ans. Ce qu’il ne savait pas encore à l’époque, il l’avait rapidement découvert. Il répondit doucement :

— Bon, eh bien maintenant, vous me l’avez dit – et, lui prenant l’épaule : Je vais m’entretenir avec le chirurgien.

Le pont se remit à trembler, des poulies brisées et des armes abandonnées chutèrent du passavant comme autant d’objets hétéroclites.

Blachford était blanc comme un linge, Bolitho devinait sans peine ce qu’il avait dû vivre en bas.

— Pouvez-vous opérer ici, sur le pont ?

Blachford acquiesça :

— Après ce que je viens de voir, je suis capable de faire n’importe quoi.

Keen descendait de la dunette et cria :

— Le Benbow vient de faire l’aperçu, sir Richard. Le contre-amiral Herrick forme tous ses vœux à votre endroit et s’offre à vous apporter toute l’aide nécessaire !

Bolitho lui sourit tristement :

— Dites-lui que je n’en ai pas besoin, mais remerciez-le.

Ce cher Thomas était toujours en vie et indemne. Grâces en fussent rendues à Dieu.

Keen se tourna vers Blachford qui, à genoux, ouvrait sa sacoche. On lisait dans ses yeux qu’il pensait : cela aurait pu être n’importe lequel d’entre nous, ou même nous deux. Il reprit :

— Six des espagnols se sont rendus, sir Richard, parmi lesquels L’Intrépido qui a été le dernier à s’y résoudre ; il s’est rendu au Tybalt.

On entendit le claquement sec d’une aussière qui lâchait, et Keen ajouta :

— Nous commençons à tirer rudement sur l’Asturias, sir Richard.

— Je le sais – il chercha autour de lui. Où est donc Allday ?

Un marin qui passait lui répondit :

— Il est descendu, sir Richard.

— Je crois que je sais pourquoi, fit Bolitho en hochant la tête.

— Je suis prêt, annonça Blachford.

Ils entendirent un nouveau claquement, mais cette fois-ci, il s’agissait d’un coup de pistolet. Bolitho et les autres virent le bras de Parris retomber sur le pont, le pistolet qu’il portait toujours sur lui fumait encore entre ses doigts.

Blachford referma sa sacoche et conclut calmement :

— Peut-être cela vaut-il mieux ainsi, en tout cas, mieux que tout ce que j’aurais pu faire. Un jeune homme si courageux, je crois qu’il n’aurait pas supporté de vivre comme un infirme.

Bolitho, après s’être découvert, se dirigea vers l’échelle de dunette.

— Laissez-le là où il est, il sera en bonne compagnie.

Un peu plus tard, il se fit la réflexion que cela ressemblait à une épitaphe.

Des tuniques rouges se mouvaient un peu partout dans le bord. Le major Adams, tête nue, mais apparemment indemne, hurlait des ordres.

— Les blessés d’abord, major, lui dit Bolitho. On les fait passer à bord de l’espagnol. Ensuite…

Mais il n’acheva pas sa phrase. Au lieu de poursuivre, il se tourna vers le Benbow qui, accompagné du Capricorne, défilait le long de l’autre bord. Cette fois-ci, pas de vivats, Bolitho savait trop bien ce à quoi l’Hypérion devait ressembler. Etait-ce son imagination, ou bien les épaules noueuses de la figure de proue effleuraient-elles déjà l’eau ? Il resta à la regarder jusqu’à ce que son œil malade se fût mis à trembler convulsivement.

Il était incapable de penser à autre chose. L’Hypérion était en train de sombrer. Ils ne pouvaient même pas jeter l’ancre : dans ces eaux, la mer était sans fond. Le lieu exact du naufrage ne serait jamais connu.

Des hommes s’agitaient autour de lui mais, comme en ce jour où il avait hissé sa marque à bord, les visages qu’il voyait étaient bien différents. Il tâta l’éventail dans sa poche : il voulait partager cet instant avec elle.

Il aperçut Rimer, ce second maître pilote tout tordu qui était avec lui lors de l’attaque du galion. Il était assis contre une bitte, le regard fixe, immobile, figé comme à l’instant où une balle l’avait frappé. Loggie, le caporal d’armes, étendu de tout son long en travers du corps d’un autre fusilier qu’il avait tenté de traîner à l’abri. C’est alors qu’un tireur l’avait abattu à son tour.

Les premiers blessés émergeaient d’un panneau. Quelques-uns se mirent à crier lorsque leurs blessures entrèrent en contact avec l’hiloire ou avec des palans, mais la plupart d’entre eux se contentaient de regarder dans le vide, comme Rimer. Ils n’avaient jamais pensé qu’ils reverraient la lumière du jour.

Allday vint le rejoindre. Il avait ramené Ozzard.

— Il était toujours dans la cale, sir Richard – et avec un petit sourire forcé : ’Savait pas que l’affaire était terminée, l’en a de la chance !

Ce qu’il ne disait pas, c’est qu’il avait retrouvé Ozzard assis dans l’échelle qui menait à la cale, le sabre d’honneur de Bolitho serré tout contre lui, occupé à contempler les derniers reflets des fanaux sur l’eau noire qui montait doucement vers lui. Il n’avait même pas eu l’intention de s’échapper.

Bolitho prit le petit homme par l’épaule :

— Je suis très heureux de vous revoir.

— Mais tous ces meubles, lui répondit Ozzard, et la cave à vins de madame – il poussa un soupir –, tout est perdu.

Keen s’approcha en boitillant :

— Je ne veux pas vous déranger, sir Richard, mais…

— Je sais, Val, répondit Bolitho en se tournant vers lui. Continuez à faire ce que vous devez, je m’occupe du bâtiment.

Et voyant que Keen ouvrait la bouche pour protester :

— D’une certaine façon, je le connais mieux que vous.

Keen se rendit à ses raisons.

— Bien, sir Richard. Il n’y en a plus pour très longtemps, dit-il après un coup d’œil aux aussières tendues à se rompre.

— Je sais. Dédoublez les amarres. C’est la première fois, ajouta-t-il presque pour lui-même, que je perds mon bâtiment.

Minchin arriva sur le pont avec l’un de ses assistants. Leurs vêtements étaient noirs de sang, ils portaient tous les deux un sac. Minchin s’approcha de Bolitho :

— Autorisation d’évacuer les blessés, sir Richard ?

— Bien sûr, et merci.

Minchin se força à sourire, il avait le visage défait.

— Même les rats se sont enfuis.

— Évacuez avec les autres, ordonna Bolitho à Ozzard.

Ozzard serrait contre lui le vieux sabre.

— Non, sir Richard, je reste…

— Bon, concéda Bolitho, dans ce cas, restez ici, sur le pont.

Il se tourna vers Allday :

— Vous venez avec moi ?

Allday avait l’air désespéré. Devez-vous vraiment sombrer avec lui ? Et tout haut :

— Vous ai-je jamais abandonné ?

Ils se dirigèrent vers la poupe, descendirent la première échelle qui menait au pont inférieur. Les mantelets étaient toujours fermés, mais à bâbord la plupart avaient été ouverts par le souffle, et les pièces étaient sorties de leurs affûts. Il n’y avait pas trop de morts. Dieu soit loué, Keen avait fait évacuer le pont pour contrer l’espagnol qui les avait abordés. Mais il y en avait tout de même quelques-uns. Des silhouettes pantelantes, les yeux à demi clos comme pour se protéger de la lumière et de la fumée, et qui les regardaient passer. Il y avait un homme coupé en deux, tranché très proprement par un boulet alors qu’il courait vers sa pièce avec son écouvillon. Et du sang, du sang partout. Pas étonnant que les pavois fussent peints en rouge, mais on le voyait tout de même. L’enseigne de vaisseau Priddie, adjoint au chef de la batterie basse, gisait face sur le pont, le dos transpercé par de longs éclis arrachés du pont. Il tenait toujours son sabre à la main.

En bas d’une autre échelle, dans l’entrepont, Bolitho dut se courber pour passer sous les barrots. Deux fanaux étaient restés allumés. Les morts étaient alignés bien en rang, on les avait recouverts de toile à voile. Il y en avait d’autres autour de la table d’opération, ils étaient restés là où ils avaient rendu l’âme après avoir attendu leur tour. Un lourd objet tomba sur le pont et, au bout de quelques secondes, commença à dévaler dans un grondement, comme un être vivant.

— Mon Dieu ! murmura Allday.

Bolitho le regarda. C’était sans doute un boulet de trente-deux qui s’était échappé de son panier et qui roulait sans s’arrêter vers l’avant.

Ils firent halte près de la dernière écoutille, Allday souleva le panneau. Il donnait accès à la cale, là où Ozzard courait toujours se réfugier lorsque le vaisseau était au combat.

Bolitho s’agenouilla pour essayer de percer l’obscurité tandis qu’Allday lui tenait la lanterne.

Il s’attendait à voir de l’eau entre les tonneaux et les caisses, les coffres et les meubles, mais tout était déjà envahi. Des barils flottaient dans l’eau noire qui léchait un fusilier mort alors qu’il essayait de grimper à l’échelle. C’était l’un de ceux que l’on plaçait en faction pour empêcher les hommes terrorisés de venir se réfugier là et tenter ainsi d’échapper à la bataille. Il avait sans doute été tué par un fuyard, ou bien, tout comme Ozzard, avait essayé de trouver un abri après s’être échappé de l’enfer qui régnait sur le pont.

Le pont recommença à trembler, et il entendit de gros fragments qui tapaient dans la galerie de combat. La plupart des charpentiers avaient dû s’y faire prendre au piège et étaient morts noyés.

L’entrepont, les cales, les magasins et les soutes situés plus bas étaient des endroits qui étaient toujours restés obscurs pendant les trente-trois années d’existence de l’Hypérion. Lorsqu’ils avaient réarmé le vieux vaisseau après un carénage mené à la hâte, il était assez probable que l’arsenal avait laissé passer quelque chose. Plus bas, là où la première bordée s’était écrasée contre la muraille, il y avait sans doute une zone un peu abîmée que personne n’avait vue, des membrures et des planches de bordé pourries jusqu’à la carlingue. Le dernier bombardement du San-Mateo lui avait porté le coup de grâce.

Bolitho attendit qu’Allday eût refermé le panneau puis reprit le chemin de l’arrière pour remonter l’échelle.

Tant de souvenirs allaient disparaître avec ce bâtiment ! Adam, qui y avait embarqué comme aspirant. Cheney, qu’il avait aimée à son bord. Et tant de noms, tant de visages. Certains de ces êtres étaient là, à bord des vaisseaux ravagés de l’escadre où ils s’occupaient à mettre les prises en sûreté après la victoire. Bolitho les imaginait qui contemplaient l’Hypérion, qui se souvenaient peut-être de lui tel qu’il avait été dans le temps, tandis que les plus jeunes, comme l’aspirant Springett… Il étouffa un juron, mit la main sur ses yeux. Non, celui-là aussi avait disparu, avec tant d’autres dont il ne se souvenait même plus. Allday lui glissa :

— Je crois que nous ferions mieux de remonter, amiral.

La coque se remit à trembler et Bolitho crut apercevoir de l’eau à la lueur des fanaux, qui montait jusqu’aux coutures de pont. Elle allait bientôt recouvrir le sang autour de la table de Minchin.

Ils remontèrent dans la batterie basse et durent se jeter de côté pour éviter un gros canon de trente-deux qui s’ébranlait et commençait à dévaler la pente, comme poussé par des mains invisibles. Chargez ! En batterie ! Feu ! Bolitho entendait encore les ordres criés par-dessus le vacarme de la bataille.

Arrivé sur la dunette, Bolitho retrouva Keen et Jenour qui l’attendaient.

— Le bâtiment est évacué, sir Richard, lui annonça tranquillement Keen.

Il tourna les yeux vers sa marque qui paraissait immaculée au soleil.

— Dois-je l’amener ?

Bolitho s’approcha de la lisse de dunette et s’y agrippa comme il l’avait fait tant de fois, d’abord comme commandant, puis comme amiral.

— Non, s’il vous plaît, Val. Il s’est battu sous ma marque, il la portera à jamais.

Il se tourna vers l’espagnol, l’Asturias. On distinguait nettement toutes les avaries qu’il avait subies, la muraille trouée par les bordées de l’Hypérion. On avait maintenant l’impression qu’il était plus haut sur l’eau.

Il contemplait toutes ces silhouettes qui gisaient çà et là, Parris dont le bras déjeté tenait toujours le pistolet qu’il avait décidé d’utiliser pour son dernier voyage.

Ils avaient réussi à chasser l’ennemi qui s’était éparpillé. Mais, lorsque l’on voyait tous ces vaisseaux désemparés, tous ces cadavres abandonnés, la victoire semblait bien peu de chose. Bolitho fit à voix haute :

— Tu es mon bâtiment.

Les autres étaient restés près de lui, mais il paraissait bien seul.

— Tu n’es plus qu’un ponton. Mais cette fois-ci, c’est un honneur ! – et, lâchant la lisse : Je suis prêt.

L’Hypérion mit encore une bonne heure avant de disparaître. Il s’enfonça lentement par l’avant. De la poupe de l’espagnol, Bolitho entendait la mer faire irruption par les sabords, balayant sur son passage tous les débris, avide de tuer.

Même les prisonniers espagnols agglutinés le long des pavois restaient silencieux.

Des branles, libérés de leurs filets, flottaient dans l’eau. Un cadavre abandonné près de la roue se mit à rouler sur lui-même, comme s’il faisait semblant d’être mort.

Bolitho serrait de toutes ses forces son sabre contre l’éventail qui se trouvait dans sa poche.

Ils étaient tous en train de sombrer avec lui. Il retint son souffle lorsque la mer envahit tout le pont jusqu’à la dunette. On ne voyait plus que la poupe et sa marque toujours en tête de mât. Il se souvint alors de ce que disait ce marin agonisant : l’Hypérion avait frayé le chemin, comme il l’avait toujours fait. Il dit à voix haute :

— Il n’y en aura jamais de meilleur que toi, vieille baille ! Lorsqu’il se tourna une nouvelle fois de son côté, il avait disparu. On ne voyait plus que des nuages de bulles, des débris et de l’écume pour signaler l’endroit où il avait entamé son dernier voyage vers le fond de la mer.

Keen regardait les survivants abattus qui se trouvaient autour de lui. Il partageait exactement les mêmes sentiments.

 

A l'honneur ce jour-là
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